Peut-être une différente vision de César Borgia et du mythe autour de sa personne…
Avec sa venue au Vatican, la famille Borgia, contribue à la diffusion de la langue catalane. En effet, cette famille d’origine catalane se compose de personnages dont les légendes, leur faisant peu louanges, les entourant seront rependues dans toute l’Europe, et résonnent encore de nos jours. Des actes belliqueux et sinistres forgeront la notoriété et renommée de cette famille catalane, dont le chef, futur pape Alexandre VI sera comparé à l’antéchrist, et où la relation entre ses enfants sera dite inceste. Bref, empoissonnement, assassinat seront des recours fréquemment utilisés par la famille pour assurer leur ascension au pouvoir. Le fils du pape, César Borgia aussi appeler le duc de Valentinois, aura une réputation le qualifiant de cruel, assassin, inceste, d’injuste, de corrompu et où ladite nature de ces actes violents, quelques fois romancés, en font un imposant personnage politique de la Renaissance italienne. Or, Nicolas Machiavel, penseur italien de cette époque, en fait plutôt l’éloge que la critique, dans son traité politique Le Prince.
Le Prince, destiné au Prince Laurent de Médicis (grand-père de Catherine de Médicis, nom que vous reconnaissez fort probablement, dues à l’implication de cette reine dans les guerres de religion et son omniprésence au cours XVIe siècle…), est une œuvre d’une importance monumentale qui révolutionnera et redéfinira l’essence de la politique, en lui conférant son autonomie de la morale. Machiavel réduisant «la politique à l’effort du pouvoir» [Veyne, 1979], rend compte de concepts et méthodes servant au Prince pour acquérir et demeurer au pouvoir, ce dernier devant être aimé, mais crains à la fois.
Machiavel et la famille Borgia coexisteront au cours des mêmes années et il est dit que ce premier ressentit un profond dédain envers la personne de César Borgia qu’il a côtoyé. Or, dans Le Prince, «il finit par transformer en mythe cet homme qu’il haïssait» [Veyne 1979, 448] il le présente dans son ouvrage comme un des exemples à suivre pour les princes à en devenir. Il justifie ses actes cruels, car ces derniers ont permis l’union et la remise sur pied de la Romagne [Machiavel, 1980]. «Le prince, ne soit doit point soucier d’avoir le mauvais renom de cruauté pour tenir tous ses sujets en union et obéissance» [Machiavel 1980, 103].
Brièvement, Machiavel invoque les qualités du renard (ruse, soit qui comprend la politique) et du lion (force physique, soit pour mener à terme et assurer cette politique) comme étant primordial à la gouvernance du Prince. On reconnait ses dernières chez César Borgia. Encore, il mentionne que l’acquisition du pouvoir peut se faire par la sa propre force et la virtù (capacité de conserver le pouvoir et affronter la fortuna), ou par la force d’autrui et la fortuna (contingence de l’histoire). Ainsi, le Prince qui acquit le pouvoir par cette première méthode, et donc, dépendant moins de la fortuna aurait moins de difficulté à se maintenir au pouvoir [Machiavel 1980, 57]. Or, le Prince qui acquiert le pouvoir par cette deuxième méthode, tel que César Borgia a «moins de peine à devenir Prince, mais beaucoup à le demeurer» [Machiavel 1980, 60] puisqu’ils dépendent de la force et fortuna de «ce qui les a faits grands» [Machiavel 1980, 61]. Ainsi, c’est grâce à la fortune (force et fortuna) de son père que Borgia devient Prince. Or, Machiavel affirme que ce Prince parvint par sa grande virtù à mettre en œuvre les moyens pour conserver son pouvoir, pour contourner la fortuna. La chute de Borgia, à la suite de la mort de son père, est due à un concours de circonstances, ou comme Machiavel mentionne à une «extraordinaire et extrême malignité de fortune » [Machiavel 1980, 62], qui ne profitèrent pas aux entreprises du Prince qui perdit ses pouvoirs non pas par ses actions, par sa responsabilité. Bref, le portrait que hisse Machiavel de Borgia donne une différente optique des actes de ces derniers et les justifient.
«Il me semble qu’il [César Borgia] faut le proposer pour exemple à tous ceux qui par fortune ou avec les armes d’autrui sont parvenus au grand pouvoir. Car ayant le cœur grand et l’intention haute, il ne se pouvait comporter autrement, et seules s’opposèrent à ses desseins la courte vie d’Alexandre et sa propre maladie. Qui donc veut, en sa nouvelle principauté, s’assurer de ses ennemis, s’attacher à des amis, vaincre ou par force ou par ruse, se veut faire aimer ou craindre du peuple, être suivi et respecté des soldats, ruiner ceux qui nous peuvent ou doivent nuire […] être rigoureux et bienveillant, magnanime et libéral, éteindre une milice infidèle, en créer une nouvelle, se maintenir en amitié des rois et des princes, en sorte qu’ils soient portés à le servir et qu’ils regardent à lui nuire, celui-là ne peut choisir plus frais exemple que la conduite du duc de Valentinois.»
-Nicolas Machiavel, Le Prince (1980, 68).
par Alexandra Salinas
César Borgia en noir à gauche. Nicolas Machiavel en noir au centre.
Source: Machiavel, Nicolas. 1980. Le Prince. Paris : Gallimard. (Préface de Paul Veyne)
Source image: http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f3/Cesare_borgia-Machiavelli-Corella.jpg